Extraits proposés par Fernand Bélair
POUR L’AMOUR DES HOMMES
Note : La québécoise Liz PLank qui vit maintenant aux États-Unis a publié un essai intitulé For the love of men. Cet essai a été traduit et publié en 2021 aux Éditions Québec-Amérique sous le titre de Pour l’amour des hommes (Dialogue pour une masculinité positive). L’essai en question, largement documenté surtout à partir d’un contexte américain et parfois international, fait 382 pages. En voici un certain nombre d’extraits organisés sous différents thèmes : la masculinité consciente; les hommes et les émotions; les hommes et la santé; les hommes et les rôles. Le choix de ces extraits ne représente pas nécessairement mes opinions personnelles non plus que celles de l’organisme Hommes Québec. Ils n’en sont pas moins utiles pour soulever de la réflexion et des échanges entre hommes ou avec nos entourages respectifs.
La masculinité consciente
Note : Pourquoi ne pas débuter par la conclusion de l’essai de madame Plank en abordant tout de suite le sujet de la masculinité consciente? Quels seraient en effet les avantages pour l’humanité de délaisser les caractéristiques de la masculinité toxique pour permettre aux hommes d’épouser leur vérité?
« C’est à ce moment que j’ai réalisé à quel point les hommes pourraient être différents si nous donnions le droit aux garçons d’être eux-mêmes. J’avais la réelle impression qu’ils se libéraient d’une coquille qu’ils ne savaient pas qu’ils portaient… Je me demandais ce qui arriverait si tout le monde avait un peu plus d’espace pour expérimenter le genre et plus d’espace pour exister en dehors de celui-ci. » (. 305-306)
« Les pressions que subissent les hommes quand ils doivent prouver qu’ils sont de ‘vrais hommes’ entrent en conflit avec leur capacité à être des hommes bons… Nous devons avoir la même curiosité à propos des hommes et des garçons, … de leurs destinées avortées et de leurs vocations étouffées. Il nous coûte cher de ne pas renverser le système dans lequel nous élevons nos garçons actuellement; nous perdons d’innombrables contributions masculines… Il y a des garçons qui ne deviendront jamais les hommes qu’ils seraient censés devenir. Nous devons entreprendre ce défi de redéfinir le genre pour les garçons : il existe trop de potentiel non réalisé. Les idéaux actuels de la masculinité étouffent les garçons et les hommes … Si la remise en question des mensonges que les femmes avaient assimilés à leur propre sujet a entraîné autant de progrès social, imaginons ce qui se passerait si nous faisions le même boulot avec ceux des hommes … Ceux qui prônent une réforme des représentations toxiques de la masculinité sont accusés d’essayer de féminiser les hommes. Admettons d’abord que cette déflexion classique se nourrit de nos préjugés intériorisés voulant que ce soit mauvais pour les hommes d’assumer leur féminité ou qu’il y ait quelque chose de profondément dénaturé chez les hommes qui agissent comme des femmes. » (p. 336-339)
« La masculinité consciente … encourage à regarder à l’intérieur d’eux-mêmes afin de reprendre contact avec toutes ces choses qui font d’eux des hommes bons plutôt qu’avec tous les déchets inutiles qu’ils ont absorbés et qu’ils portent inconsciemment dans le but d’être de ‘vrais hommes’. Développer une conscience de notre genre revient à nous éveiller aux réflexes et aux comportements auxquels nous en sommes venus à nous identifier, puis à choisir ceux qui nous sont utiles et à rejeter ceux qui nous nuisent… Plutôt que de voir certains comportements masculins comme innés, fixes et inévitables, nous devons les voir comme acquis, modifiables et évitables … Si la masculinité consciente incite les hommes à comprendre ce qu’il y a de bon à être un homme, elle leur permet aussi d’affronter leur douleur et de se responsabiliser face à elle… Entreprendre de vivre une masculinité consciente implique d’avoir le courage d’examiner la douleur tout autant que l’amour et d’apprendre à reprendre le contrôle sur sa vie… La pratique de la masculinité consciente demande du courage, une qualité primordiale associée à la fierté d’être un homme… La masculinité consciente permet aux hommes d’aligner leurs choix sur les qualités qui les rendent fiers d’être des hommes et de mettre en pratique les comportements positifs liés à leurs convictions profondes… le genre est un peu comme notre garde-robe : il y a plein de trucs au fond qui ramassent la poussière, qui ne servent plus à rien et qui prennent trop de place… je demande à chacun et à chacune d’entre nous de réfléchir sérieusement aux choses auxquelles nous nous accrochons et de consciemment lâcher-prise si ces choses nous empêchent d’être les personnes que nous voulons être. » (p. 341-343)
Les hommes et les émotions
Note : La socialisation des hommes les conduit à la honte, à la solitude, voire à la violence. Pourtant les hommes ne sont pas dépourvus de compétences émotionnelles. Il suffit de les écouter lorsqu’ils prennent la parole pour s’en rendre compte.
« Parce que les hommes sont encouragés à jouer à des jeux centrés sur la compétition plutôt que sur les relations, l’intelligence émotionnelle est un muscle qui n’est pas appelé à se développer chez eux. » (p. 26-27)
« Les garçons ne sont pas moins émotifs ou empathiques que les filles; s’ils sont moins habiles ou à l’aise à exprimer leurs émotions, c’est parce que nous ne les encourageons pas à le faire. » (p. 82-83)
« La femme réprime ses besoins parce qu’elle a appris que les besoins des autres sont plus importants, et l’homme réprime les siens parce qu’on lui a enseigné qu’il n’en avait pas. » (p. 87)
« L’une des plaintes … entendues de la part des femmes hétérosexuelles était que leurs partenaires semblaient déconnectés durant les relations sexuelles. Ils ne semblaient pas présents pendant l’acte et ils se concentraient sur ce qu’ils devaient faire à leurs partenaires plutôt que sur leur façon d’être avec elles… Les hommes se sentent honteux de ne pas pouvoir soutenir les principes irréalistes de la masculinité… la honte mène à la construction de mensonges sur la façon dont les hommes devraient penser et agir… lorsque les hommes vivent un conflit interne lié aux rôles de genre, c’est-à-dire quand ils perçoivent un décalage entre la façon dont ils se voient en tant qu’hommes et ce que la société attend d’eux, ils éprouveraient une honte intense… Cette idée que la masculinité fait mystérieusement disparaître les besoins humains primaires comme la vulnérabilité, la proximité, l’intimité et l’attachement est non seulement fausse, elle mène aussi à l’intériorisation de la honte quand les hommes ressentent ces besoins et une incapacité à bien les gérer… Le patriarcat ne se contente pas de convaincre les hommes qu’ils n’ont pas de besoins émotionnels; il les pousse aussi à se sentir humiliés quand ces besoins naturels se font sentir, ce qui force ces besoins à s’exprimer autrement, et de façon bien moins productive… Les chercheurs en ont conclu que la socialisation basée sur les rôles de genre encourageait les hommes à ne pas exprimer leurs émotions et les rendait moins tolérants devant les émotions difficiles ainsi que moins habiles à les gérer… La honte a besoin de trois choses pour croître de façon exponentielle dans nos vies : le secret, le silence et le jugement… la honte peut commencer à se dissiper par la prise de parole… plus nous parlons de notre honte, plus elle se dissipe.» (p. 92-105)
« Le psychiatre Jeroen Jansz de l’Université d’Amsterdam montre que les hommes n’ont pas moins de compétences émotionnelles que les femmes, mais simplement qu’ils ne les mettent pas autant en pratique. Il décline la masculinité moderne en quatre composantes : l’autonomie, la réussite, l’agressivité et le stoïcisme, et en conclut que le stoïcisme en particulier favorise une rupture avec les sentiments, la vulnérabilité et la douleur, ce qui augmente le détachement des hommes par rapport à leurs différents états émotionnels. » (p. 117)
« Les hommes sont affamés d’intimité mais incapables d’en demander. C’est ce qu’on appelle le paradoxe de l’intimité masculine : les hommes disent vouloir plus de sensibilité de la part de leurs amis, mais ils ne le demandent pas. La moitié des hommes affirment à la fois ne pas parler de leurs problèmes personnels et avoir envie de créer des liens plus profonds avec leurs amis masculins… Les barrières qui entravent les amitiés de même sexe entraînent une épidémie de solitude masculine… La masculinité toxique pose des limites aux amitiés parce qu’elle maintient les choses en superficialité… Elle crée une dynamique qui rend impossible la tendresse, la confusion, la peur, le deuil, la perte… en vertu de la masculinité idéalisée, les hommes font semblant d’être en parfaite maîtrise de leur vie quand ils sont ensemble… si la masculinité idéalisée enseigne aux hommes à ne jamais être vulnérables, à éviter l’intimité avec d’autres hommes et à ne jamais admettre qu’ils ont besoin de l’aide des autres, ça tombe sous le sens que les amitiés profondes deviennent difficiles à développer et à maintenir. » (p. 149-150)
« Il existe un moyen simple de contrer ces idéaux trompeurs et leurs conséquences négatives sur la santé : la bienveillance. L’empathie envers soi-même semble diminuer les effets de la masculinité nocive sur les hommes … contrer la tension entre l’adhésion aux idéaux masculins (comme la répression des émotions et l’indépendance) et la honte liée à la recherche d’aide. En d’autres mots, l’empathie semble avoir un effet protecteur sur les hommes. Sauf que la compassion est encore vue comme une transgression du code masculin… Mais c’est difficile d’être conscient qu’on a besoin d’aide quand on est déconnecté de soi-même. Adhérer à la masculinité idéalisée rend aussi les hommes moins susceptibles de comprendre leurs propres émotions. En fait, des chercheurs ont observé une corrélation entre l’identification à la masculinité macho et traditionnelle et une alexithymie plus prononcée, c’est-à-dire une incapacité à exprimer correctement ses émotions. » (p. 274)
« L’intelligence émotionnelle ne mène pas à une expression des émotions plus démonstrative, mais simplement plus judicieuse. Elle implique de laisser les garçons avoir des émotions afin que celles-ci ne finissent pas par les dominer. Le principe, ce n’est pas d’avoir plus d’émotions, mais plutôt de savoir les contrôler afin qu’elles ne nous contrôlent pas en retour… reconnaissons que l’intelligence émotionnelle est utile à tous et toutes et que refuser à un genre la pleine expression de ses compétences émotionnelles constitue, au mieux, de la négligence… L’agressivité et l’interdiction de pleurer, elles, ne tirent pas leur origine du courage, mais bien de la honte. » (p. 340-342)
Les hommes et la santé
Note : Assez paradoxalement, la masculinité idéalisée expose les hommes à une variété de risques, en même temps qu’elle les décourage de chercher de l’aide.
« Les garçons apprennent aussi que les vrais hommes ne demandent jamais leur chemin … les hommes sont moins susceptibles de consulter leur médecin ou professionnel de la santé… les hommes sont arrivés à la conclusion que demander des conseils, ce n’était pas pour eux. Mélangez une incapacité à gérer les émotions avec une réticence à demander de l’aide et vous obtenez le cocktail parfait – et mortel – pour les problèmes de santé mentale… Les hommes se sentent obligés de cacher leur dépression à leurs partenaires ou leurs familles parce que l’inverse contreviendrait aux attentes de l’idéal de masculinité qui privilégie l’indépendance et la force. » (P. 21-22)
« En plus d’être encouragé à prendre davantage de risques sans trop de protection, l’homme viril par excellence n’est pas censé chercher de l’aide quand toute cette histoire d’hypermasculinité lui pète au visage.» (p. 269)
« La pression qui décourage les hommes de demander de l’aide face à la douleur physique n’est rien par rapport à celle qui existe devant la douleur psychologique … Les chercheurs qui avaient choisi onze normes traditionnellement associées à la masculinité idéalisée, ont constaté que les hommes qui s’y identifiaient montraient une plus grande réticence à chercher de l’aide médicale et étaient généralement en moins bonne santé. Les onze caractéristiques étaient les suivantes :
- Désir de gagner
- Besoin de contrôle émotionnel
- Prise de risque
- Violence
- Domination
- Promiscuité sexuelle
- Indépendance
- Importance du travail
- Emprise sur les femmes
- Dédain pour l’homosexualité
- Importance du statut social (p. 272-273)
« Ce constat a mené les chercheurs à conclure que de violer le code toxique de la masculinité peut entraîner un stress si important chez les hommes que leur santé globale en subit les contrecoups. Comme il peut être à ce point éprouvant d’aller à contre-courant de la culture populaire masculine dans un monde où elle constitue la norme, beaucoup d’hommes choisissent de se censurer pour se protéger. » (p. 278)
« Puisqu’on attend des hommes qu’ils soient forts et indépendants, même le simple fait de donner l’impression qu’ils ne sont pas capables de remplir ce rôle peut les empêcher d’aller chercher de l’aide. Bien des experts, d’ailleurs, croient ces idéaux masculins responsables de l’épidémie de suicide chez les hommes. Daniel Coleman… a établi que la recherche de pouvoir, de succès et d’indépendance prédispose les hommes à l’échec parce qu’elle génère un cercle vicieux de souffrance. Les idéaux masculins irréalistes alimentent des sentiments d’échec chez les hommes qui ne savent pas comment les gérer puisque ces mêmes idéaux les découragent d’aller trouver de l’aide … En d’autres mots, porter un regard plus conciliant sur eux-mêmes pourrait protéger les hommes contre les chocs de la vie.» (p. 283-284)
Les hommes et les rôles
Note : On le dit souvent, les hommes sont depuis longtemps enfermés dans une perception étroite du rôle de pourvoyeur, mais aussi limités dans l’incarnation de leur rôle de parent.
« Nous avons fait la mise à jour de la définition de la femme, mais nous n’avons pas fait la même chose pour les hommes… Si on ne présente pas aux jeunes hommes un substitut viable du modèle d’homme pourvoyeur, ils vont rester coincés à idéaliser le seul modèle qu’ils ont … les hommes se cantonnent dans une vision étroite de la masculinité, mais tout le monde autour d’eux fait pareil. C’est une cage dont nous sommes tous et toutes prisonnier.ère.s… si certains hommes peuvent avoir envie de vivre des vies plus équitables et de brouiller les limites des attentes liées au genre dans leur couple, les femmes auxquelles ils s’unissent ne partagent peut-être pas toujours leur intérêt. » (p. 178-179)
« L’argent est important. Les soins sont importants. Je n’ai jamais compris pourquoi le mot ‘pourvoyeur’ est seulement associé à l’une de ces deux choses. Le problème, ce n’est pas la façon dont les hommes s’identifient à ce rôle, mais plutôt la vision étroite que nous en avons… Les idéaux que nous imposons aux hommes survalorisent tellement le rôle de pourvoyeur qu’ils masquent toutes les autres façons dont les pères peuvent contribuer au bien-être de leur famille, des gestes qui peuvent être tout aussi importants, sinon plus, que les ressources financières. » (p. 185)
« Si le rôle de pourvoyeur économique est à la base de l’identité masculine, quand les hommes ne peuvent pas le remplir, ils ressentent de la honte, ce qui peut les amener à abandonner leur famille ou à s’isoler davantage. » (p. 204)
« La masculinité est un puissant véhicule qui motive le comportement des hommes, et quand elle est redéfinie de façon positive et recadrée de manière à représenter une responsabilité envers l’autre plutôt qu’une domination de l’autre, les retombées peuvent être phénoménales… En plus de nous enseigner que s’occuper des enfants n’est pas naturel pour les hommes, les normes désuètes de la masculinité veulent aussi nous faire croire que les garçons ne peuvent pas être vulnérables et qu’ils ont besoin de moins d’affection et de soutien que les filles… Les pères, en particulier, interagissent différemment avec leurs enfants en fonction de leur genre … Les hommes ne font que reproduire le comportement de leur propre père pour préparer leurs enfants aux rôles qui leur reviennent traditionnellement selon leur genre… Quand les garçons sont élevés différemment des filles, avec moins de soutien, d’affection et d’engagement émotif, leur développement affectif peut en être entravé. » (p. 207-208)
« Si ce que font les femmes n’était pas aussi dévalorisé, les hommes n’auraient aucun problème à le faire aussi. S’il n’y avait rien de mal avec la féminité, personne ne s’inquiéterait à l’idée que les hommes décident de l’explorer aussi. En d’autres mots, si notre culture a peur que les hommes agissent comme des femmes, c’est parce que le féminin est déprécié.» (p. 234)
Pour l’amour des hommes
Dialogue pour une masculinité positive
Traduction de Sophie Cardinal-Corriveau
29,95 CAD $
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